Quelle est la raison d’être d’une préface? Apologie? Explication? Commentaire? Indice de faiblesse ou de mauvaise foi – si elle est écrite par l’auteur –, éloge de complaisance parfois, si elle est due à quelqu’un d’autre. Je n’ai jamais compris l’utilité des préfaces, j’ai peu de goût pour en écrire une. Une pote pourtant s’impose ici.
La première édition française de mon livre a été traduite de la version américaine que je n’ai jamais considérée comme complète. Je me trouvais à cette époque-là aux Etats-Unis et il ne me semblait pas possible d’y faire paraêtre mon livre dans sa version intégrale. L’occasion de publier cette dernière me fut offerte lorsque j’ai rencontré à Paris mon éditeur français.
Voici donc l’édition non expurgée. Est-ce à dire que la version américaine avait subi des altérations arbitraires? Certes non. Il s’agissait plutôt d’une contrainte que je m’étais à moi-même imposée et que je voudrais pouvoir nommer : une censure par anticipation. Cette même contrainte existe dans l’esprit de beaucoup d’écrivains américains qui sont conscients de préférences du public à propos duquel ils écrivent et qui connaissent bien aussi l’idée que se font de notre public ceux qui le servent.
Il est difficile chez nous de servir à chacun ses quatre vérités, surtout lorsqu’il s’agit de ce conflit essentiel qui existe entre les principes de notre mode de vie et les exigences de la condition humaine. Ce conflit est latent dans tous les cœurs de notre pays, et il tourmente beaucoup d’entre nous. Nous nous détournons de cette vérité terrifiante avec ce que j’appellerai une sorte de mauvaise foi commune. C’est ce qui m’a poussé à m’exprimer avec certaines réticences au cours de mon travail initial. Mais après y avoir réfléchi, j’ai senti qu’il me fallait tenter de parvenir jusqu’aux causes de cette crise morale dont souffre tant la jeunesse que je décris ici.
P. M.